Extraits du blog du Dr Ralph le Dinh concernant la mission orthopédique Africomed de Mars 2020

Lundi 9 mars 2020

Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de Marina, 33 ans, l’âge du Christ. Elle est partie travailler à 7h30…La matinée à l’hôpital se passe avec Marina à ranger, trier le matériel d’anesthésie, vérifier l’approvisionnement en oxygène, (les extracteurs peinent tomber en panne en cas de coupure de courant) trouver une bouteille d’02, vérifier son fonctionnement etc…Tout prend du temps, tout nécessite une patience infinie, de l’entregent. Tout constitue un éternel recommencement et un sujet d’énervement sans fin aussi….

La césarienne prévue pour 9h a lieu en fait à midi, la notion de temps est très élastique ici et je pousse Marina à se lancer dans sa prise en charge, en compagnie de Rauben. Comme d’habitude, rien n’est préparé à l’avance ce qui ne manque pas de surprendre ma petite collègue : pas de matériel pour intuber ou réanimer, pas de vasoconstricteur, pas de groupe sanguin demandé. Je m’en charge donc pendant qu’elle officie. Il est cependant rare qu’une patiente ici ait besoin de sang après une césarienne, ils ont une telle pratique et sont toujours très confiants. 13h, l’heure de manger, je passe au vestiaire me changer, incommodé une fois de plus par les effluves de sueur tenace qui flottent dans la pièce…L’après-midi, consultations préopératoires : homme de 30 ans, curetage d’une ostéomyélite chronique du fémur gauche, femme de 35 ans libération d’adhérences du coude gauche après brûlures au cour d’une crise d’épilepsie, homme de 78 ans réduction puis ostéosynthèse par plaque pour fracture mal consolidée du tibia-péroné droit, femme de 39 ans même traitement pour une pseudarthrose du fémur droit , idem chez un homme de 35 ans, homme de 49 ans, cure de pseudarthrose de l’humérus droit , enfant de 5 ans, 20kg, cure de genu valgum , enfant de 13 ans 29 kg ,curetage d’une ostéomyélite chronique du tibia etc. Il y a beaucoup de problèmes de ce genre qui restent invalidants ou très gênants et gâchent la vie des intéressés.

Mardi 10 mars 2020

Il ne faut jamais se presser ici, des surprises nous attendent souvent, comme ce matin où Allan l’ instrumentiste du coin m’annonce deux césarienne et me dit hilare qu’il faut attendre avant de prendre en charge le cas d’ orthopédie…Inutile de dire que ça ne fait pas du tout notre affaire et que je propose de commencer l’ostéosynthèse dans la deuxième salle d’op mais il faudra quand même patienter une heure puisque la panne de courant de cette nuit n’a pas permis de stériliser correctement le plateau d’instruments….Les contretemps s’accumulent. Alors qu’on s’apprête à prendre en charge une patiente, il faut changer d’appareil d’anesthésie, à deux reprises : une première fois parce que l’appareil de remplacement a une cuve d’isoflurane ne pouvant être remplie faute de produit (?) et une deuxième fois parce que l’extracteur d’oxygène de l’appareil fonctionne mal, se montrant très capricieux…Après un bricolage de fortune, nous sommes prêts à entamer le programme opératoire. Il est 10h30….Marina procède à un bloc interscalénique sous ultrasons qui fonctionne parfaitement (en vue d’une libération des adhérences du coude gauche à la suite d’anciennes brûlures). Puis il est temps d’aller prémédiquer avec l’aide de David qui fait office d’interprète. Le premier patient, un jeune de 30 ans, arrive en s’appuyant sur un long bâton en guise de béquille car il a une fracture de la cheville gauche depuis quelques jours…Retour au bloc op pour s’occuper d’une pseudarthrose du fémur sous rachianesthésie. Entre-temps, la troisième césarienne vient de s’achever, le poupon repose bienheureux sur la poitrine maternelle, en train de la téter goulûment, l’avenir du pays est assuré…
………Consultations préopératoire, il y a tant de misère…J’ai vu passer une femme de 32 ans qui s’est fait amputer des deux jambes l’an passé à la suite d’une chute d’un arbre avec paraplégie subséquente à l’âge de 16 ans. Elle est restée alitée durant des années, vivant misérablement, confinée à la maison en raison de ses escarres infectées, menaçant sa vie à tout moment. L’amputation lui a permis de s’en sortir, de rester assise, de se déplacer en fauteuil roulant et d’avoir un semblant de vie sociale, choses impossibles auparavant…J’ai vu aussi un gamin de 5 ans, brûlé aux deux bras après avoir été en contact avec du porridge bouillant. Il a un gros déficit d’extension et une contracture du coude droit…Ensuite, vient une femme de 64 ans avec une vilaine fracture ouverte du poignet depuis 5 jours et très infectée, il y a déjà une atteinte du nerf cubital…Elle sera opérée demain en priorité….