Sanata

Au village elle fut heureuse, membre de sa communauté
Sous le couteau de l’exciseuse, elle devint femme à 12 ans
Fut honorée par les aînés de trouver mari à 15 ans
De porter en elle un bébé, à la fin de la même année

Son petit ventre arrondi fit la fierté de son mari
Au dispensaire on lui a dit pour accoucher de venir ici
Mais une vieille la convainquit que pour une femme donner la vie
Ça ne se passe qu’entre elle et Lui, et qu’on n’a pas besoin d’autrui.

Quand le travail a commencé, au village elle est restée
Et son calvaire allait durer trois jours, trois nuits, l’éternité
Même Dieu ne put abréger ses souffrances alors provoquées
Par une profonde cicatrice qui empêcha le bébé de passer.

Après un voyage en charrette, elle arriva au dispensaire
Avec l’espoir que tout s’arrête, mais pour elle on ne put rien faire
Dans la grande ville on la transfère, pour que des médecins l’opèrent
Elle se crut tirée d’affaire, ce n’était que le début de l’enfer…

Libérée d’un enfant mort-né, elle crut que c’était terminé
Mais en elle un trou est resté à cause des tissus nécrosés
Elle compris que plus jamais ses déjections elle ne retiendrait
Son corps s’en trouva souillé et son âme tout humiliée…

Au réconfort de son retour succéda un autre cauchemar
Dans une case au fond de la cour, elle fut mise à l’écart
Seul un frère bienveillant lui apportait sa nourriture
À cause d’un corps malodorant, elle fut traitée comme pourriture

Un soir Sanata a mis ses maigres affaires dans un pagne
Un soir Sanata sortit de cette case qui était devenue son bagne
Un soir Sanata prit seule la route à travers les herbes rousses
Un soir Sanata sans rien dire disparut à jamais dans la brousse.

Son seul recours, tout abandonner
Son seul recours, se faire oublier…

Où sont-elles celles qui ont organisé son excision ?
Où sont-tils ceux qui ont célébré cette union ?
Où sont-ils tous ceux qui ont chanté pour Sanata ?
Où sont-elles toutes celles qui ont dansé pour Sanata ?

Combien de Sanata dont on n’entend jamais parler
Combien de Sanata qu’on préfère ignorer…

Que ta disparition interpelle ceux qui firent de toi une femme avant l’âge
Que te disparition interpelle ceux qui disent que toute tradition est sage
Que ta disparition fasse s’allier toutes celles et ceux qui ont le courage
De se battre pour changer, et dire non à un tel outrage !

Un soir Sanata a mis ses maigres affaires dans un pagne
Un soir Sanata sortit de cette case qui était devenue son bagne
Un soir Sanata prit seule la route à travers les herbes rousses
Un soir Sanata sans rien dire disparut à jamais dans la brousse.

Sanata connut les affres de l’exil au sein de son propre clan
Sanata s’exposa au péril, choisissant la mort à 16 ans.

Tiré de  «Récits de vie, pages africaines » d’ Anne-Sophie Gindroz, éditions Baudelaire, avec l’aimable autorisation de l’auteur.